Honoré Philippe, souvenirs du régiment au début du siècle

Honoré Philippe, souvenirs du régiment au début du siècle

Je souhaite conclure en évoquant ma période militaire.

 

SOUVENIRS DU RÉGIMENT

J'étais planton et garde caisse du capitaine trésorier Boulin qui m'a laissé un bon souvenir. J'étais chargé de porter des plis ou de faire signer des documents par d'autres officiers. J'allais souvent à la préfecture et à la trésorerie principale de l'Isère, avec mon capitaine trésorier, nous allions chercher la paie des hommes de troupe et des officiers. J'allais également, deux fois par semaine, à la caserne du 1er régiment d'artillerie de montagne porter et faire signer des documents aux officiers avec ma bicyclette et ma sacoche. J'allais aussi au "polygone", bâtiment qui abritait l'artillerie et les munitions.

Personne n'entrait sans le mot de passe qui changeait chaque jour. Mon capitaine me le confiait dans une enveloppe cachetée que je présentais au corps de garde qui le retransmettait au bureau de l'état-major du Polygone et, seulement à ce moment-là, je pouvais entrer en tant que planton du capitaine trésorier. Le polygone était un très vaste hangar abritant les canons courts de 75 et 155mm, ainsi qu'un innombrable stock d'autres armements et munitions, obus et matériel ambulancier, sanitaire, traverses de voies ferrées, aboutissant à des immenses quais d'embarquement en cas de mobilisation, côtoyant d'immenses terrains vagues de plusieurs hectares où sont effectuées de grandes manoeuvres: mise en place de batteries de canons et suivie de tirs à blanc de pièces d'artilleries, le tir réel était interdit.

Je passais naturellement devant la sentinelle qui montait la garde à côté de sa guérite. J'avais remarqué l'une d'elle car ce soldat présentait les armes avec toujours le même sourire aux lèvres; même les officiers lui rendaient son sourire. Quand il rejoignait la chambrée, il chantait et amusait toute la galerie avec ses pitreries. C'était vraiment l'amuseur de la caserne; il s'appelait Fernand Contandin. Quelques années plus tard il est devenu célèbre sous le nom de Fernandel. Beaucoup de photos ont circulé en son temps, le reproduisant en simple canonnier; ceci est authentique.

Je ne voudrais pas passer sous silence l'exploit de son camarade de chambrée, habitant de Cernex, Adolphe Camp. Celui-ci a présenté les armes d'une façon peu orthodoxe, en effet il a salué les officiers, lors de son tour de garde, avec le tube d'un canon d'artillerie de montagne, d'un poids de cent onze kilos. Il était doté d'une force exceptionnelle, mais il faut le faire! La photo de ce célèbre artilleur savoyard est restée exposée longtemps à la cantine de 1er RAM. Qui dit mieux? Adolphe est décédé récemment à la Motte en laissant une grosse famille.

Je ne voudrais pas terminer cet épisode de ma vie sans citer les noms de ceux qui ont partagé avec moi ces bons moments:

Justin Chaffard de Veyssières, Henri Cusin de Charly, Victor et Gaston Cusin, Jean Marie Vesin et François Berthoud du Mont-Sion. Nous étions une équipe très soudée et nous aimions beaucoup nous retrouver, surtout à la foire de Cruseilles où on se remémorait nos exploits en trinquant avec amitié et sincérité. Tous ces amis ont malheureusement quitté ce monde mais je garde d'eux de merveilleux souvenirs des moments passés ensemble et d'une amitié qui a duré toute la vie.                                .

J'avais cinq frères. Nous avons tous effectué notre service militaire. Les deux aînés ont participé aux combats de la guerre 14­18. Le premier, Joseph, à Verdun où il a été gravement blessé par un éclat d'obus sous l'aorte qui n'a jamais pu être extrait. Il a été décoré de la croix de guerre avec palmes.

Le second, Fernand, a été blessé à la face durant la bataille de la Marne.

Les quatre autres frères, nous avons accompli notre devoir national dans plusieurs régiments. Francis pendant deux ans au 54e régiment d'artillerie de la Part-Dieu à Lyon, Benjamin pendant dix­huit mois au 14e régiment de génie de Grenoble, dans les transmissions; Gaston pendant dix-huit mois au 7e régiment des chasseurs d'Albertville et moi-même pendant dix-huit mois au 2e régiment d'artillerie de Grenoble. En ce temps-là les parents n'étaient pas riches, mais ils nous envoyaient à chacun, quand on le demandait, un petit mandat pour améliorer l'ordinaire.

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Traité et publié le 4 février 2005 par Michel Weinstoerffer