La paroisse de Cernex au XVIIIe siècle

Dans un précédent numéro du Bénon, j'avais dressé un tableau rapide de la paroisse d'Andilly au XVIIIe siècle afin de présenter le cadre de vie du fameux curé Pignarre. Tournons-nous aujourd'hui vers la paroisse voisine de Cernex pour une étude similaire.

Au XVIIIe siècle, Cernex apparaît comme la paroisse la plus peuplée de la région de Cruseilles, après le bourg lui-même. En 1773, on dénombrait quelques quatre cent cinquante habitants pour environ quatre-vingt-dix familles. Au cours du siècle, cette population a connu une hausse régulière. On arrivait ainsi à six cent quarante habitants pour cent quinze feux en 1806.

Quelques sondages dans les très complets et très anciens registres paroissiaux du lieu permettent divers constats sur la démographie. On comptait seize naissances par an en moyenne. La méthode du quotient baptêmes/mariages indique que les couples de Cernex avaient une descendance moyenne de quatre à cinq enfants au milieu du siècle. Le maximum des naissances concernait les mois de janvier à avril, ce qui correspondait à des conceptions printanières et estivales. Les accouchements étaient pratiqués par des mères sages, des matrones qui détenaient une certaine expérience et qui affichaient une bonne moralité, d'ailleurs contrôlée par l'Eglise. Parfois, en cas d'urgence, ces femmes devaient se substituer au curé.

Ainsi en janvier 1762, Claudine Bussat dut baptiser rapidement les filles jumelles de Baptiste Collomb, «à cause du danger». Il faut noter que le baptême devait être rapide car en cas de décès, le nouveau-né était censé errer dans les limbes. Voyez le cas dramatique du garçon de Maurice Grillon qui rendit ses derniers soupirs à la porte de l'église en mai 1731. Les mères sages avaient également le devoir d'extorquer le nom du père dans les cas de naissance illégitime. En juin 1760 par exemple, la Jeanne Philippe déclara dans la douleur à Claudine Lacroix, mère sage de Cernex, que sa fille était du fait de noble Joseph Delonay de Compesières. Pour le nouveau-né, le choix des parrain et marraine était très important. Ces derniers transmettaient leur prénom à l'enfant et par ce biais leurs qualités. Ils pouvaient aussi constituer des appuis pour l'avenir du nouveau-né.

Ainsi, au cours des années 1730, les Bertrier seigneurs de La Motte furent choisis à maintes reprises. Gaspard de Bertrier devint le parrain de Gasparde Breton, de Gaspard fils du sieur Thouvier, de Gaspard fils de Nicolas Dupâquier fermier du comte de Cernex... Quant à Christin de Bertrier, il devint parrain pour légitimer la naissance délictueuse de Jeanne Claude fille illégitime de noble Gaspard de Bertrier, officier au Régiment de Chablais, et de Claudine Magnin. Nos seigneurs de La Motte choisissaient également leurs parrains et marraines dans la noblesse locale: en 1731, Joseph fils de Christin de Bertrier eut ainsi pour parrain noble Joseph Durouvenoz de Copponex (mais aussi possession né à Cernex). Les prénoms les plus courus dans la première moitié du XVIIIe siècle étaient Pierre, François et Claude pour les garçons, Marie, Françoise et Louise pour les filles, ce qui correspondait notamment au culte rendu à saint Pierre, patron du diocèse, et à saint François de Sales, très vénéré dans la région depuis la fin du XVIIe siècle.

On comptait en moyenne quatre mariages par an, surtout en janvier et février, en dehors des grands travaux agricoles et des grandes fêtes religieuses. On remarque une forte endogamie, ce qui obligeait souvent à demander des dispenses pour consanguinité aux autorités ecclésiastiques, comme Pierre et Marie Excoffier en 1735, cousins au quatrième degré. Quand le conjoint était choisi en dehors de la paroisse, c'était dans les localités des environs: Cercier, Contamine, Copponex, Présilly, Minzier, Viry, etc. Le mariage impliquait contrat et dot. Les exemples foisonnent dans les registres du tabellion. Comme dans le reste de la région de Cruseilles, les dots avaient comme point commun d'être particulièrement modestes. L'épouse apportait également quelques objets et une tête de bétail, une vache pour les plus aisés, une chèvre ou une brebis pour les autres. Voyez honnête Claudine fille d'honnête Antoine Bretton qui apportait à son futur mari honnête Pierre François fils de feu Noël Phillippe, maître maréchal de Cernex en 1699, une dot modeste de 350 florins payables en trois fois, et un trossel composé de dix linceuls de toile commune, un alentour de lit à frange avec son couvert, une vache, une brebis, deux coupes de froment, une couette et des coussins, une couverture de lit, six aulnes de mantil façon de triège, quatre serviettes, un coffre en noyer fermant à clé et contenant ses hardes et habits quotidiens. Certaines, comme Françoise Saxod en 1705, apportaient aussi des gages durement gagnés comme domestique (elle donnait également un tour à filer, une chèvre et autres chemisettes...).

Les registres paroissiaux donnent en moyenne cinq à six décès par an, mais certaines années sont marquées par des pics de mortalité parfois impressionnants dus aux conséquences des mauvaises récoltes, aux épidémies et autres misères des temps. En 1706 par exemple, la mortalité monta en flèche dans la paroisse avec quarante décès, concentrés essentiellement en août et septembre, et touchant prioritairement les jeunes, nouveaux nés, enfants et adolescents. L'explication tient ici certainement à une accumulation de phénomènes: occupation de la Savoie par les troupes françaises depuis plusieurs années, misère chronique attestée par de nombreux témoignages, grande sécheresse au cours de l'été 1706, qui avait brûlé toutes les campagnes. Tout ceci avait fragilisé les organismes des jeunes, sensibles aux troubles digestifs de l'été. Ces pics de mortalité deviennent toutefois plus rares au cours du siècle en particulier grâce à l'éradication de la peste dans nos contrées au XVIIe siècle: la dernière épidémie en 1629-1630 avait fait monter le nombre des décès à une trentaine par an à Cernex. Au cours de l'année, la mortalité était également plus ou moins marquée selon les mois et les saisons, ainsi les mois de janvier, avril-mai et octobre-novembre étaient-ils particulièrement mortifères, surtout pour les vieillards et les jeunes enfants.

Durant la première moitié du XVIIIe siècle, l'âge moyen au décès s'élevait à environ 40 ans, du fait surtout d'une forte mortalité infantile. Les causes habituelles des décès sont rarement évoquées dans les registres, le curé signalait surtout les morts subites ou les accidents qui avaient empêché tout sacrement. Dans les nombreux testaments, on se contentait également de signaler des « maladies corporelles». Les connaissances médicales rudimentaires du temps, la quasi-absence et l'incompétence du personnel médical empêchaient souvent tout diagnostic précis et tout espoir de guérison. Un exemple flagrant concerne les accouchements difficiles et leur suite: ainsi en 1719, Marguerite fille du sieur André Violet, fermier du comte de Cernex, décédait à 8 jours. Sept jours plus tard, la mère de la petite, Gabrielle Fleuret âgée de 22 ans trépassait à son tour.

Les curés, dans les registres paroissiaux, signalèrent également des attaques de loups dans les années 1748-1479-1750: «le loup a pris plusieurs enfants dans les paroisses voisines dans le Vuache, dans la Semine et dans cette paroisse celui de Jean-Charles Ravier et de Henriette Millet du village de Cernex, deux (enfants) à Martin Excoffier et Gorgaz Saxod de Cortenges, un à Martin Cugnet et Marie Bouvier de La Motte. Il gâta encore le visage à Antoine Armand et à la Marie Excoffier qui en sont guéris».

Pour nos ancêtres, même les plus modestes, la mort se préparait en général par la rédaction d'un testament. On cherchait d'abord à assurer son salut par un rituel récurrent évoqué par exemple dans le testament de Claude fils de feu Noël Philippe en 1785 : « comme bon chrétien, il a fait le signe de la Sainte Croix sur son corps en disant au nom du père et du fils et du Saint Esprit, a recommandé son âme à Dieu et à toute la cour céleste ...». Certains, les plus aisés, pouvaient effectuer des legs pieux, comme noble Jean-Baptiste de Bertrier seigneur de la Motte qui léguait 4 livres par an aux pauvres de la paroisse dans son testament de 1742. Il fallait ensuite prévoir le déroulement des funérailles. Le lieu de sépulture, c'était naturellement le cimetière paroissial, mais les notables de Cernex avaient le privilège de se faire inhumer dans des tombeaux familiaux au sein de l'église et donc plus près de Dieu.

Ainsi, les seigneurs de La Motte avaient leur tombeau dans la chapelle Notre-Dame dans l'église, dans lequel ils accueillaient d'ailleurs les défunts d'autres familles influentes comme les châtelains ou fermiers des comtes de Cernex. Une bourgeoise de Chambéry, la veuve Ricotin, propriétaire à Cernex, se fit inhumer dans la chapelle du Saint-Esprit. Le testament prévoyait aussi les messes d'anniversaire et l'organisation de la sépulture, la présence de luminaires, etc.

L'appartenance à une confrérie apportait un certain relief aux cérémonies. Mais le testament réglait aussi les affaires temporelles. Le testateur nommait d'abord ses héritiers particuliers, filles à doter, cadets, oncles, tantes, frères et autres personnes à remercier, comme Philliberte Dunant à qui noble Jean-Baptiste de Bertrier léguait 4 livres pour l'avoir soigné pendant sa maladie. C'est le moment également où le mari se préoccupait de la veuve qu'il allait laisser. En 1699 par exemple, François Durand donnait à sa femme l'administration et gouvernement de ses biens et de ses héritiers. Dans le cas d'une mésentente avec les héritiers, il lui léguait une pension annuelle (froment, orge, fèves), une vache, un lit garni, le chauffage, «l'herbage» (les légumes) au jardin, de la toile et tous les deux ans une paire de souliers et des bas de chausse. Ses deux autres héritiers particuliers étaient ses filles à qui il assurait une dot et un trossel. Comme héritiers universels, il nommait ses trois fils, Jean-Claude, Benoît et Aymé.

Dominique Bouverat
La Salévienne (Le Bénon N°56 - 2007 )

Galerie XVIIIe siècle