Honoré Philippe, Le château des Avenières au début du siècle

Honoré Philippe, Le château des Avenières au début du siècle

Il est difficile de ne pas évoquer le château des Avenières quand on parle de Cernex ou de Cruseilles. Aussi je vais rapidement évoquer la construction du château d'après mes souvenirs, ainsi qu'un fait historique peu connu.

LE CHÂTEAU DES AVENIèRES


Mademoiselle SILLITO était la fille d'un riche américain, propriétaire de grands magasins à Chicago. A la mort de son père elle se retrouve à la tête d'une importante fortune. Elle s'installe à Genève où elle a l'habitude de passer ses vacances. Comme tous les Genevois elle aimait mon ter effectuer des promenades sur le Salève. On y accédait par un petit train électrique à crémaillère qui partait du Pas-de-l'Echelle, au pied du Salève, et montait en direction de Monnetier-Mornex en passant par un tunnel qui existe encore et dont le terminus était aux "Treize Arbres", au-dessus de la Croisette. De là, par des chemins forestiers, elle faisait de magnifiques promenades jusque sur le versant sud, au-dessus de Cru seilles et de Saint-Blaise. On a une très belle vue sur Annecy, le mont Blanc, la vallée des Usses, jusqu'à Seyssel et Chambéry et au nord sur le Genevois. Mademoiselle Sillito n'ignorait pas ce splendide panorama; elle a acheté tout le coin sud du Salève.

Ces terrains, jusqu'en 1789, appartenaient aux moines de l'abbaye de Pomier. Ils avaient été confisqués par l'état révolutionnaire et bradés à différents propriétaires. Mademoiselle Sillito a acheté son domaine aux communes de Cruseilles et Saint-Blaise. Il y a eu différents propriétaires entre la Révolution et Mlle Sillito, je citerai seulement la famille Bastian, car c'est elle qui a fait construire la célèbre tour du grand Piton à 1.300 mètres d'altitude, tour qui a été rénovée dernièrement par la volonté de Félix Croset ex-Maire de Beaumont ayant rencontré Bernard Pellarin pour une aide financière, les travaux réalisés pour l'accès par Jean Gruaz, pour la maçonnerie par Stéphane Fhérardie*.

Mademoiselle Sillito décide la construction d'un château qui débutera en 1907. Pour cette entreprise elle s'entoure d'un régisseur, d'un architecte et d'un ingénieur. Il faut penser qu'à cette époque il n'y a aucun engin de chantier. Le terrassement est entièrement creusé à la pioche par une grosse équipe de terrassiers. Les ouvriers ne manquaient pas, d'autant que la demoiselle payait largement son monde. Les pierres pour la construction provenaient de la montagne. Il n'en était pas de même pour le bois de charpente, le ciment et les tuiles qui arrivaient à la gare de Saint­Julien et qu'il fallait acheminer. Les camions n'existaient pas. Ce sont des paysans du Châble et de Saint-Blaise qui effectuaient le transport en dehors du travail de la ferme, car les chevaux et les boeufs étaient très occupés. Il fallait monter jusqu'à Saint-Blaise par des chemins vicinaux très étroits. Mlle Sillito avait de gros moyens qui lui permettaient de rétribuer largement cette "armada". La construction du château se termine vers 1917. Quand on y accède par l'Abergement on emprunte une voie bordée de gros chênes. Un grand et imposant escalier en pierres donne accès à une cour. Le superbe jardin est en terrasses que décore une série de piliers et de voûtes.

L'entrée principale est au nord et ouvre sur un grand hall. A l'intérieur on peut admirer une chapelle venant tout droit des USA. Comme les matériaux de construction, elle fut acheminée pierre par pierre par des paysans depuis la gare de Saint-julien.

Pour l'époque cette construction était un vrai travail de romain, surtout à cause de la situation géographique.

Mademoiselle Sillito n'était pas une carmélite. Elle épousa un riche ingénieur en électricité d'origine orientale: Monsieur Assan DINA. Ce couple apporta beaucoup à toute notre région; ils étaient des précurseurs.

Le château n'était pas électrifié, il n'y avait aucune chute d'eau à proximité. Monsieur Dina acquit sur le bord des Usses, à Chosal, un ancien moulin à farine avec une roue à aubes. Tous les moulins des Usses avaient été inondés en 1888 lors d'une importante crue, excepté le moulin jacquet, plus en hauteur. De par ses qualités d'ingénieur électricien, M. Dina a imaginé d'électrifier le château en captant la moitié du courant de la rivière par un petit barrage "chez les Goths", naturellement en accord avec les pouvoirs publics. Il a fallu installer des turbines vers le moulin, à Chosal, en creusant une immense fosse de dix à quinze mètres de profondeur que j'ai vu construire. Il n'y avait toujours pas d'engins mécaniques, il fallait tout faire à la pelle et la pioche et cela dura deux ans, en étayant les parois à cause des risques d'éboulement. Ces travaux ont assuré de l'ouvrage à une grande quantité d'ouvriers de la région, mais aussi Italiens et Espagnols. Du hameau des Goths, un grand bief en béton conduisait l'eau des Usses dans la fosse creusée où étaient installées deux turbines. On construisit aussi un petit tunnel qui renvoyait les eaux turbinées aux Usses en contrebas.

Une ligne électrique fut tirée de Chosal aux Avenières. Comme Dieu l'entend "charité bien ordonnée commence par soi-même". La fosse existe toujours, ainsi que le tunnel qui a été exploré dernièrement par canot pneumatique.

M. Dina n'a pas travaillé que pour lui-même. Il a profité de cette belle réalisation pour l'époque pour électrifier sur son passage Copponex, Cruseilles, Cernex. Cette 'Innovation a été accueillie avec enthousiasme par toute la région. Elle a beaucoup développé nos campagnes, notamment en permettant l'installation de petits moteurs électriques dans les fermes pour actionner les scies à couper le bois de chauffage, tourner les meules à aiguiser les lames de faucheuse, actionner les broyeurs à céréales et dans les fruitières pour actionner les barattes à beurre, pour brasser le caillé dans les grandes chaudières à faire les meules de fromage.

Ce sont aussi M. et Mme Dina qui ont fait construire une route stratégique sur le Salève.

Vers 1926 le ciel s'assombrit, des bruits de guerre circulaient. L'Allemagne avait l'intention d'attaquer la France comme toujours par la trouée de Belfort et, de ce fait, de violer la neutralité de la Suisse. Ce plan a été déjoué par la vigilance et la valeur défensive de la Suisse avec ses blockhaus redoutables installés dans les montagnes.

M. Dina, de par ses relations et en homme averti, en collaboration étroite avec l'autorité militaire, a décidé la construction d'une route stratégique. Avec le 4ème régiment du génie de Grenoble, ils ont construit des baraquements pour loger les troupes pendant les travaux. Cette route se situait sur les emplacements approximatifs des chemins forestiers des "Lyrons", via La Croisette. Pour réaliser cette vingtaine de kilomètres de route il n'y avait pas d'engins, même pas de camions. M. Dina fournissait des équipes d'ouvriers pour aider les soldats. Le génie possédait un petit train à voie étroite que l'on appelait" décauville" qui tractait de petits wagonnets basculant par côté pour verser la terre. Tous les cent mètres on avançait les rails. Un travail spectaculaire à l'époque. Ces travaux ont duré plusieurs années en prévoyant des emplacements pour des pièces d'artillerie éventuelles, surplombant le Genevois. Les Allemands voyant la Suisse se fortifier ont renoncé à l'envahir et ont préféré les pays plats. On connaît la suite !

Monsieur Dina, en collaboration avec des grands savants astronomes américains avait projeté de construire, à côté du château, le plus grand observatoire du monde. Le Salève, paraît-il, se prêterait parfaitement à cette formidable opération, à cause de la pureté de son atmosphère. Cet observatoire géant dont les lentilles avaient été commandées aux USA, l'une d'un diamètre de 4,5 mètres et l'autre de 5 mètres, pesait environ 100 tonnes, à installer sur place en pièces détachées et pouvait mesurer le diamètre de centaines d'étoiles.

Ce projet n'a jamais vu le jour à cause de la mort mystérieuse de M. Dina en juillet 1928. Cet homme charitable est enterré au Caire, en Égypte.

Autre épisode du château des Avenières.

Pendant la guerre de 39-45, le château a été occupé par une vingtaine de soldats qui étaient chargés de signaler le survol de la région par les avions allemands sous lesquels ont pouvait voir des croix noires sous les ailes. Ces soldats indiquaient la direction des avions à l'autorité militaire: nord-sud ou est-ouest. Les avions, du reste peu nombreux, lâchaient de temps en temps quelques bombes sur Lyon ou Chambéry, une fois même à Thônes où il y a eu plusieurs morts.

Je ne voudrais pas passer sous silence un fait historique que beaucoup de gens ignorent. Le château des Avenières servit de refuge pendant la seconde guerre à un grand résistant et grand patriote, un des fondateurs de l'Armée Secrète: le comte François de Menthon, en collaboration avec des officiers de la garnison du 27e et le concours de la population. Tous ces gens ont fondé le célèbre maquis.

Le comte de Menton était à cette époque recherché par la milice, dont le chef s'appelait Darnand, qui l'avait déjà jeté dans un bassin public à Annecy en plein hiver. Il n'avait dû son salut qu'à la proximité de son appartement et de la police. Mais, sa tête étant mise à prix, il devait se cacher. C'est un homme, un grand résistant qui le conduisit en lieu sûr. Il s'agit de Monsieur Excoffier, important ferrailleur à Villy-Ie-Pelloux ; on le surnommait le "baron de Villochon". Le temps pressait pour sauver le comte de Menton. M. Excoffier est allé réveiller Me Pinget, à l'époque propriétaire du château et maire de Cruseilles , à minuit. Ils sont montés au château où le comte est resté pendant une certaine période que nous avons tristement connue. Il n'est pas resté pour autant inactif. Par personnes interposées, il a eu une grosse activité, servant de courroie de transmission avec le maquis. La guerre terminée, occupant de hautes fonctions, le comte de Menton a été délégué au procès de Nuremberg pour y juger les criminels de guerre.

Ces faits m'ont été révélés par M. Excoffier, dit "le baron", lui-même car il était mon conscrit. Il m'avait fait promettre de ne pas en faire mention, à personne, de son vivant craignant encore de vieilles rancunes.

Il nous a quittés maintenant, c'est pourquoi je fais part de cet épisode régional de la Résistance.

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Traité et publié le 4 février 2005 par Michel Weinstoerffer