Honoré Philippe

Honoré Philippe, Merci Papa par Suzanne Mégevand

Honoré Philippe, Merci Papa par Suzanne Mégevand

Mon cher petit papa,


Merci de m'avoir dédié ton livre. J'ai éprouvé une joie profonde à t'assister, à te soutenir en t'écoutant et te guidant durant deux ans et demi pour la réalisation de ton ouvrage, dans lequel tu as investi toute ta personne et toute ta connaissance. En me donnant le privilège de ce travail en commun, tu m'as aussi donné une immense satisfaction et tu nous as fait à tous un cadeau inestimable. A quatre-vingt-dix ans il fallait le faire.

J'ai pu, tout au long de la rédaction du manuscrit, capter toutes tes émotions, découvrir des pans de ta vie ignorés jusque là. J'ai eu aussi la grâce de voir souvent tes yeux se remplir de larmes de joie ou chargés d'émotion lorsque je te relisais certains passages, ou quant tu as achevé tes écrits.

Durant tout ce temps, tu as été mon père, mon papa, mon complice, jusqu'à ce que je devienne à certains moments (un peu) un second toi-même. J'ai vécu des passages comme" si j'y étais...". C'est un merveilleux présent que tu nous lègues.

C'est vrai aussi que ça n'a pas toujours été facile d'être là, d'avoir la bonne écoute, mais nos efforts conjugués sont largement récompensés.

Tu sais, j'avais pensé que l'on terminerait ton livre par les photos des croix de la commune. Tu les as vues pour la plupart installer lors des missions auxquelles tu as participé.

N'as-tu pas eu aussi pendant de longues années la charge, en plus de ton travail des champs et de la ferme, la responsabilité du réseau d'eau de Cernex afin d'améliorer notre quotidien? Merci papa. J'avais donc photographié les réservoirs.

Je pensais que nous aurions le temps d'évoquer aussi les bassins, les puits, les ponts, les fruitières, en un mot ce dont tu parles au quotidien, mais le temps passe vite et il faut penser à éditer ton livre et puis cela aurait été trop long. Peut-être nous remettrons nous au travail !

Malgré tout je me permets d'ajouter les quelques lignes suivantes.

Ton évocation des Rogations m'a amenée à me rappeler le temps où, jeune fille, je suivais moi aussi la procession. Très souvent le fou- rire était plus fort que la piété et la dévotion.

Je pense aux instants où le curé Place s'égosillait à chanter les litanies des saints pour que toute l'assemblée l'entende et réponde. Souvent il m'arrivait, pour faire rire les copines, de chanter bien fort leur nom en latin. L'effet était garanti !

Je me rappelle les moments où j'étais désignée par M. le Curé pour porter la bannière de la sainte Vierge de Cernex à Verlioz. Il nous prévenait le dimanche précédent et durant toute la semaine j'invoquais tous les saints du paradis et la Vierge pour que cette mauvaise bise ne se lève pas le jour convenu. J'aurais eu tellement honte si la bannière de la sainte Vierge avait été projetée à terre. Je l'aurais ressenti comme un sacrilège. C'est vrai que l'on avait appris le sens du sacré...

Je crois revoir aussi Gérard Chaffard portant la bannière de saint Martin, patron de la paroisse.

Nous devions monter à Verlioz à la croix de la Tony Command qui décorait une table de bougies et de fleurs. Nous étions ensuite rassemblés autour de la croix pour prier et chanter pour les familles et les récoltes. En redescendant nous renouvelions nos prières tout le long du chemin. Nous nous arrêtions au pied de la croix près de notre maison. Ma mère, tout comme la Tony, avait pris soin de la décorer en préparant une table, sa belle nappe rose, un beau bouquet de fleurs, des bougies, de l'eau bénite et un rameau.

Les habitants du haut de Cernex ont récemment refait cette croix, elle était en pierre de molasse et n'avait plus de bras. Elle est. maintenant en bois et porte le corps du Christ que tu as sculpté en bois dur avec tes mains, ton coeur et ta foi. Même si tu n'es pas considéré comme un grand artiste sculpteur, elle nous est très chère.

Les Rogations reprenaient le lendemain et nous allions au Grand­Christ de Veyssières et à Cortenges.

Ayant évoqué les Rogations je souhaite terminer par la prière en famille.

Te rappelles-tu papa les périodes d'hiver lorsque tu enlevais, avec l'aide d'un ou deux voisins, le gros fourneau noir de Ia cuisine pour le passer à la chambre nommée "poële" pour avoir plus chaud l'hiver? A l'époque il n'y avait pas de chauffage central.

Je revois mes parents agenouillés sur une chaise en paille, nous les enfants nous étions derrière, à côté du fourneau noir, face à un Christ en croix pendu au mur. Nous gardons de cela une foi bien enracinée.

Le fameux fou rire était encore là, au rendez-vous. En effet, ma mère, comme beaucoup de femmes à l'époque, faisait sécher son linge sur un sèche-linge en acier inoxydable qui s'adaptait au tuyau du fourneau sur des tiges de fer. Là pendaient les chaussettes et autre petit linge. Ce qui occasionnait des crises de rire terribles.

Dans ces moments de recueillement on t'obligeait à nous infliger quelques petits coups de casquette.

Deux mots sur le Bénédicité que ma mère nous faisait réciter (peut-être pas très régulièrement) avant le repas de midi. "Bénissez-nous seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l'ont préparé.

Et procurez du pain à ceux qui n'en ont pas. Amen".

Autre rituel: lorsque on entamait le pain, on devait le signer, c'est-à-dire faire une croix dessus et surtout ne jamais le mettre sans dessus dessous.

Voilà cher papa ce que je me suis permise d'ajouter à tes souvenirs en signe de remerciements à ce que toi et notre mère vous nous avez inculqué.

Ton ouvrage papa fait honneur à son auteur. Merci Papa !

Ta fille Suzanne

{highslide float=left type="img" url="histoire/20eme/merci-papa.jpg" width=200 captionText='Installation de la nouvelle croix en haut de Cernex et du Christ sculpté par Suzanne Mégevand.' } {/highslide} Dans le cadre de son activité de conservation du patrimoine, la Salévienne se fait un plaisir de porter à la connaissance des habitants de la région les souvenirs d'un habitant de Cernex.


{highslide float=left type="img" url="histoire/20eme/Honore_philippe.jpg" width=200 captionText='Honore Philippe' } {/highslide}

Traité et publié le 4 février 2005 par Michel Weinstoerffer

Honoré Philippe, souvenirs du régiment au début du siècle

Honoré Philippe, souvenirs du régiment au début du siècle

Je souhaite conclure en évoquant ma période militaire.

 

SOUVENIRS DU RÉGIMENT

J'étais planton et garde caisse du capitaine trésorier Boulin qui m'a laissé un bon souvenir. J'étais chargé de porter des plis ou de faire signer des documents par d'autres officiers. J'allais souvent à la préfecture et à la trésorerie principale de l'Isère, avec mon capitaine trésorier, nous allions chercher la paie des hommes de troupe et des officiers. J'allais également, deux fois par semaine, à la caserne du 1er régiment d'artillerie de montagne porter et faire signer des documents aux officiers avec ma bicyclette et ma sacoche. J'allais aussi au "polygone", bâtiment qui abritait l'artillerie et les munitions.

Personne n'entrait sans le mot de passe qui changeait chaque jour. Mon capitaine me le confiait dans une enveloppe cachetée que je présentais au corps de garde qui le retransmettait au bureau de l'état-major du Polygone et, seulement à ce moment-là, je pouvais entrer en tant que planton du capitaine trésorier. Le polygone était un très vaste hangar abritant les canons courts de 75 et 155mm, ainsi qu'un innombrable stock d'autres armements et munitions, obus et matériel ambulancier, sanitaire, traverses de voies ferrées, aboutissant à des immenses quais d'embarquement en cas de mobilisation, côtoyant d'immenses terrains vagues de plusieurs hectares où sont effectuées de grandes manoeuvres: mise en place de batteries de canons et suivie de tirs à blanc de pièces d'artilleries, le tir réel était interdit.

Je passais naturellement devant la sentinelle qui montait la garde à côté de sa guérite. J'avais remarqué l'une d'elle car ce soldat présentait les armes avec toujours le même sourire aux lèvres; même les officiers lui rendaient son sourire. Quand il rejoignait la chambrée, il chantait et amusait toute la galerie avec ses pitreries. C'était vraiment l'amuseur de la caserne; il s'appelait Fernand Contandin. Quelques années plus tard il est devenu célèbre sous le nom de Fernandel. Beaucoup de photos ont circulé en son temps, le reproduisant en simple canonnier; ceci est authentique.

Je ne voudrais pas passer sous silence l'exploit de son camarade de chambrée, habitant de Cernex, Adolphe Camp. Celui-ci a présenté les armes d'une façon peu orthodoxe, en effet il a salué les officiers, lors de son tour de garde, avec le tube d'un canon d'artillerie de montagne, d'un poids de cent onze kilos. Il était doté d'une force exceptionnelle, mais il faut le faire! La photo de ce célèbre artilleur savoyard est restée exposée longtemps à la cantine de 1er RAM. Qui dit mieux? Adolphe est décédé récemment à la Motte en laissant une grosse famille.

Je ne voudrais pas terminer cet épisode de ma vie sans citer les noms de ceux qui ont partagé avec moi ces bons moments:

Justin Chaffard de Veyssières, Henri Cusin de Charly, Victor et Gaston Cusin, Jean Marie Vesin et François Berthoud du Mont-Sion. Nous étions une équipe très soudée et nous aimions beaucoup nous retrouver, surtout à la foire de Cruseilles où on se remémorait nos exploits en trinquant avec amitié et sincérité. Tous ces amis ont malheureusement quitté ce monde mais je garde d'eux de merveilleux souvenirs des moments passés ensemble et d'une amitié qui a duré toute la vie.                                .

J'avais cinq frères. Nous avons tous effectué notre service militaire. Les deux aînés ont participé aux combats de la guerre 14­18. Le premier, Joseph, à Verdun où il a été gravement blessé par un éclat d'obus sous l'aorte qui n'a jamais pu être extrait. Il a été décoré de la croix de guerre avec palmes.

Le second, Fernand, a été blessé à la face durant la bataille de la Marne.

Les quatre autres frères, nous avons accompli notre devoir national dans plusieurs régiments. Francis pendant deux ans au 54e régiment d'artillerie de la Part-Dieu à Lyon, Benjamin pendant dix­huit mois au 14e régiment de génie de Grenoble, dans les transmissions; Gaston pendant dix-huit mois au 7e régiment des chasseurs d'Albertville et moi-même pendant dix-huit mois au 2e régiment d'artillerie de Grenoble. En ce temps-là les parents n'étaient pas riches, mais ils nous envoyaient à chacun, quand on le demandait, un petit mandat pour améliorer l'ordinaire.

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Traité et publié le 4 février 2005 par Michel Weinstoerffer

Honoré Philippe, La savoyarde au début du siècle

Honoré Philippe, La savoyarde au début du siècle

LA SAVOYARDE


Le 19 octobre 1991, à l'occasion du centenaire de la plus grosse cloche du monde: "La Savoyarde" installée au Sacré-Cœur à Montmartre, ma fille Suzanne, mon gendre Georges et moi avons assisté à Sevrier, dans les nouveaux locaux des établissements Paccard, à l'anniversaire des cent ans de la "Savoyarde". Une petite cloche fut coulée symboliquement en présence des autorités civiles et religieuses et remise gracieusement à la paroisse de Sevrier.

"La Savoyarde" est un bourdon de dix-neuf tonnes fondue à l'initiative de Monseigneur Leuillieux, archevêque de Chambéry.

C'était la contribution des deux Savoie à l'édification de la basilique du Sacré-Coeur. Une souscription fut commencée le 29 janvier 1889 par les évêques des deux Savoie et clôturée le 18 décembre 1890.

Le 1 ï octobre 1889, le contrat était passé avec les frères Paccard et la cloche fut coulée le 13 mai 1891. Elle fut livrée à l'achèvement du campanile (petit clocher à jour qui contient la cloche) en 1898.

Le poids de la cloche est de 18.835 kg, celui du battant de 850 kg, pour une hauteur de 3,06m et une circonférence de 9,6m, elle est en alliage 22% d'étain et ï8% de cuivre.

Son transport des ateliers à la gare a nécessité douze paires de bœufs et deux paires de chevaux.

Elle fut baptisée le 20 novembre 1895 par Monseigneur Richard; ses marraine et parrain furent: Madame La Comtesse Ernest De Boigne de Chambéry et Monseigneur Hautin archevêque de Chambéry.

Cette cérémonie d'anniversaire a éveillé en moi des souvenirs. En effet, j'ai entendu plusieurs fois mon père et ma mère me raconter qu'ils étaient allés à Annecy-le-Vieux voir la cloche avant son départ pour Paris. Elle est restée exposée une huitaine de jours.

Elle était pendue à soixante centimètres du sol à un énorme joug. M. Paccard et ses collaborateurs expliquaient aux nombreux visiteurs la fabrication de la cloche et sa composition. A la fin de son exposé M. Paccard s'empara d'un gros maillet de bois et frappa la cloche ce qui fit sursauter tous les visiteurs. Voilà comment, il y a cent ans, mes parents ont vu la plus grosse cloche du monde.

Plus de 80000 cloches Paccard sonnent et chantent autour du monde.

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Traité et publié le 4 février 2005 par Michel Weinstoerffer

Honoré Philippe, Le fanion historique de Sidi Brahim au début du siècle

Honoré Philippe, Le fanion historique de Sidi Brahim au début du siècle

SIDI BRAHIM


Je voudrais signaler un fait authentique. Les Allemands avaient envahi Lyon et se dirigeaient vers Chambéry et Annecy. Il fallut déménager la caserne Galbert. Un grand négociant de Seynod s'en est chargé, déménageant les magasins, habillement, chaussures et toutes les armes. Le tout fut conduit en lieu sûr. Pendant ce remue-ménage une chose importante avait été oubliée: le fameux fanion historique de Sidi-Brahim, l'orgueil de nos chasseurs.

C'est mon cousin, le capitaine trésorier Ruffard du 27e chasseur, en retraite, qui l'a récupéré. Les Allemands, en prenant  possession de la Galbert, ont sitôt recherché le fameux étendard; ils le voulaient coûte que coûte. Ils avaient même, sous la menace, interpellé des anciens officiers, mais mon cousin, le capitaine Ruffard, avait' emporté le précieux objet chez lui où il l'a soigneusement enroulé et enfilé dans un tuyau asséché, sous un étroit passage conduisant à sa villa.

C'est ainsi que l'étendard est resté en sécurité pendant toute la période d'occupation allemande. La guerre terminée, les chasseurs ont rejoint leur caserne où ils n'ont pas retrouvé leur fameux fanion. Ils ont cru que les Allemands l'avaient emporté. Mais mon cousin le leur a rendu à la grande joie de tout le bataillon. Aujourd'hui c'est donc grâce à mon cousin que nos petits chasseurs peuvent encore défiler, avec fierté, au pas cadencé, derrière la fanfare et sous les plis de l'étendard de Sidi-Brahim.

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Traité et publié le 4 février 2005 par Michel Weinstoerffer